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vicror hugo

created Feb 21st, 23:45 by Oussama Youss


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En 1815, M. Charles-François-Bienvenu Myriel était évêque
de Digne. C’était un vieillard d’environ soixante-quinze ans ; il
occupait le siége de Digne depuis 1806.
Quoique ce détail ne touche en aucune manière au fond
même de ce que nous avons à raconter, il n’est peut-être pas
inutile, ne fût-ce que pour être exact en tout, d’indiquer ici les
bruits et les propos qui avaient couru sur son compte au
moment il était arrivé dans le diocèse. Vrai ou faux, ce
qu’on dit des hommes tient souvent autant de place dans leur
vie et souvent dans leur destinée que ce qu’ils font. M. Myriel
était fils d’un conseiller au parlement d’Aix ; noblesse de robe.
On contait que son père, le réservant pour hériter de sa charge,
l’avait marié de fort bonne heure, à dix-huit ou vingt ans,
suivant un usage assez répandu dans les familles
parlementaires. Charles Myriel, nonobstant ce mariage, avait,
disait-on, beaucoup fait parler de lui. Il était bien fait de sa
personne, quoique d’assez petite taille, élégant, gracieux,
spirituel ; toute la première partie de sa vie avait été donnée au
monde et aux galanteries.
La révolution survint, les événements se précipitèrent ; les
familles parlementaires, décimées, chassées, traquées, se
dispersèrent. M. Charles Myriel, dès les premiers jours de la
révolution, émigra en Italie. Sa femme y mourut d’une maladie
de poitrine dont elle était atteinte depuis longtemps. Ils
n’avaient point d’enfants. Que se passa-t-il ensuite dans la
destinée de M. Myriel ? L’écroulement de l’ancienne société
française, la chute de sa propre famille, les tragiques spectacles
de 93, plus effrayants encore peut-être pour les émigrés qui les
voyaient de loin avec le grossissement de l’épouvante, firentils germer en lui des idées de renoncement et de solitude ? Futil, au milieu d’une de ces distractions et de ces affections qui
occupaient sa vie, subitement atteint d’un de ces coups
mystérieux et terribles qui viennent quelquefois renverser, en
le frappant au cœur, l’homme que les catastrophes publiques
n’ébranleraient pas en le frappant dans son existence et dans sa
fortune ? Nul n’aurait pu le dire ; tout ce qu’on savait, c’est
que, lorsqu’il revint d’Italie, il était prêtre.
En 1804, M. Myriel était curé de B. (Brignolles). Il était déjà
vieux, et vivait dans une retraite profonde.
Vers l’époque du couronnement, une petite affaire de sa
cure, on ne sait plus trop quoi, l’amena à Paris. Entre autres
personnes puissantes, il allait solliciter pour ses paroissiens M.
le cardinal Fesch. Un jour que l’empereur était venu faire sa
visite à son oncle, le digne curé, qui attendait dans
l’antichambre, se trouva sur le passage de sa majesté.
Napoléon, se voyant regarder avec une certaine curiosité par ce
vieillard, se retourna, et dit brusquement :
Quel est ce bonhomme qui me regarde ?
Sire, dit M. Myriel, vous regardez un bonhomme, et moi
je regarde un grand homme. Chacun de nous peut profiter.
L’empereur, le soir même, demanda au cardinal le nom de ce
curé, et quelque temps après M. Myriel fut tout surpris
d’apprendre qu’il était nommé évêque de Digne.
Qu’y avait-il de vrai, du reste, dans les récits qu’on faisait
sur la première partie de la vie de M. Myriel ? Personne ne le
savait. Peu de familles avaient connu la famille Myriel avant la
révolution.
M. Myriel devait subir le sort de tout nouveau venu dans une
petite ville il y a beaucoup de bouches qui parlent et fort peu
de têtes qui pensent. Il devait le subir, quoiqu’il fût évêque et
parce qu’il était évêque. Mais, après tout, les propos auxquels
on mêlait son nom n’étaient peut-être que des propos ; du bruit,
des mots, des paroles, moins que des paroles, des palabres,
comme dit l’énergique langue du midi.
Quoi qu’il en fût, après neuf ans d’épiscopat et de résidence
à Digne, tous ces racontages, sujets de conversation qui
occupent dans le premier moment les petites villes et les
petites gens, étaient tombés dans un oubli profond. Personne
n’eût osé en parler, personne n’eût osé s’en souvenir.
M. Myriel était arrivé à Digne accompagné d’une vieille
fille, mademoiselle Baptistine, qui était sa sœur et qui avait dix
ans de moins que lui.
Ils avaient pour tout domestique une servante du même âge
que mademoiselle Baptistine, et appelée madame Magloire,
laquelle, après avoir été la servante de M. le curé, prenait
maintenant le double titre de femme de chambre de
mademoiselle et femme de charge de monseigneur.
Mademoiselle Baptistine était une personne longue, pâle,
mince, douce ; elle réalisait l’idéal de ce qu’exprime le mot
« respectable » ; car il semble qu’il soit nécessaire qu’une
femme soit mère pour être vénérable. Elle n’avait jamais été
jolie ; toute sa vie, qui n’avait été qu’une suite de saintes
œuvres, avait fini par mettre sur elle une sorte de blancheur et
de clarté, et, en vieillissant, elle avait gagné ce qu’on pourrait
appeler la beauté de la bonté. Ce qui avait été de la maigreur
dans sa jeunesse était devenu, dans sa maturité, de la
transparence ; et cette diaphanéité laissait voir l’ange. C’était
une âme plus encore que ce n’était une vierge. Sa personne
semblait faite d’ombre ; à peine assez de corps pour qu’il y eût
un sexe ; un peu de matière contenant une lueur ; de grands
yeux toujours baissés ; un prétexte pour qu’une âme reste sur la
terre.
Madame Magloire était une petite vieille, blanche, grasse,
replète, affairée, toujours haletante, à cause de son activité
d’abord, ensuite à cause d’un asthme.
À son arrivée, on installa M. Myriel en son palais épiscopal
avec les honneurs voulus par les décrets impériaux qui classent
l’évêque immédiatement après le maréchal de camp. Le maire
et le président lui firent la première visite, et lui de son côté fit
la première visite au général et au préfet.
L’installation terminée, la ville attendit son évêque à
l’œuvre

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